A la SNCF, le "big bang" des horaires attendra
Article paru dans Le Monde daté du 25 mars
On peut appeler cela un plaidoyer de bon sens ou une efficace opération de lobbying : la SNCF devait, dès 2012, réorganiser ses horaires en profondeur suivant le principe du « cadencement » – un espacement fixe, de 15 ou de 30 minutes par exemple, entre les trains d’une même ligne afin de proposer une grille plus lisible aux voyageurs. Elle a finalement obtenu que cet objectif soit mis en oeuvre de manière beaucoup plus progressive.
Trop ambitieuse, l’extension prévue de longue date de ce mode d’organisation risquait, en effet, de désorganiser gravement le trafic ferroviaire, a fait valoir la SNCF. Redoutant un « chaos » dès le 11 décembre, date d’entrée en vigueur de la grille des horaires 2012 , la compagnie plaidait pour le gel pur et simple d’un projet qui, selon son président, Guillaume Pépy, engendrait « une très grande inquiétude de la base jusqu’au sommet de l’entreprise« .
La SNCF a souligné les conséquences du sous-investissement chronique dont souffre le réseau ferré français et les risques d’insatisfaction des usagers face à la remise en question de certains horaires en fonction desquels ils s’étaient organisés. Sans oublier les risques sociaux liés à la réorganisation brutale des rythmes de travail des cheminots. Autant d’ingrédients qui pouvaient déboucher sur une dangereuse accumulation de mécontentements. Enfin, le cadencement entraînait une augmentation du nombre de TER. Au moment où les régions réduisent leurs investissements faute de moyens budgétaires, la SNCF craignait de devoir financer elle-même une partie de ces trains supplémentaires.
L’insistance avec laquelle la SNCF a sonné le tocsin ne pouvait que prendre un relief particulier alors que de graves dysfonctionnements ont par ailleurs défrayé la chronique pendant la vague de froid de décembre 2010. Les usagers de certaines lignes avaient alors organisé un véritable mouvement de contestation.
Les arguments de la compagnie ferroviaire ont porté. Dans une lettre adressée le 7 mars aux présidents de la SNCF et de Réseau Ferré de France (RFF), propriétaire et gestionnaire des voies, la ministre de l’écologie, chargée des transports, considère que l’heure n’est pas à la prise de risque. Nathalie Kosciusko-Morizet recommande de franchir « une étape supplémentaire dans la mise en place du cadencement« , mais elle précise que « l’objectif commun est de réussir la mise en place du service annuel 2012 sur des bases nouvelles« .
« Il est clair que la priorité n’est pas d’étendre le cadencement à tout prix, mais de faire en sorte que les trains circulent« , commente Jacques Damas, chargé de la sécurité et de la qualité de service à la SNCF.
Sur la base d’un rapport commandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable, le ministère a tranché. Alors que la perspective évoquée par RFF était d’obtenir que le taux de trains « cadencés » passe de 8% à 20% en 2012, il ne sera que de 16%. « Ce qui représente tout de même un doublement« , souligne M. Damas.
En 2012, 30% des 800 liaisons TGV quotidiennes seront organisées en navettes (contre 10% en 2011), mais l’essentiel de la réorganisation portera sur les 12 000 trains régionaux (TER) programmés chaque jour. En particulier dans les régions Franche-Comté, afin de prendre en compte l’ouverture de la liaison grande vitesse Rhin-Rhône, et Nord – Pas-de-Calais. En Rhône-Alpes et en Ile-de-France, le cadencement a été déjà très largement introduit.
« En 2012, nous espérions réaliser un pas plus important, mais il n’était pas question d’organiser un « big-bang » ou un brusque basculement« , insiste Hubert Du Mesnil, président de RFF. Si la perspective d’un cadencement intégral apparaît irréaliste, il est nécessaire de convertir, d’ici cinq ans, la moitié du trafic ferroviaire. Et d’atteindre un taux de 70% dans les zones denses. Ce mode d’organisation, qui s’est généralisé en Suisse et se pratique largement dans le reste de l’Europe, ne facilite pas seulement la tâche des voyageurs, assure le président de RFF. Antithèse du défunt indicateur Chaix, le cadencement permet de fluidifier les correspondances et de faire circuler un nombre de trains plus important sur un même réseau.
Synchroniser la circulation ferroviaire contribue aussi à accorder plus de créneaux aux trains de marchandises – réduits à la portion congrue sur les axes les plus fréquentés – et devrait s’imposer, demain, comme la meilleure façon de distribuer les horaires entre compagnies concurrentes.
« Personne ne conteste les vertus du cadencement« , dit M. Pépy. « Le problème, c’est sa mise en oeuvre dans le contexte du réseau ferré français« . « Et le fait« , ajoute-t-il, « que c’est d’abord la SNCF qui subira les conséquences des problèmes qui pourraient surgir. »
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